De silences et de glace
   Salle des pas perdus
   Alors, partir !

De silences et de glace

Un roman de Julia Billet, publié à L'Ecole des loisirs, en 2002,
dans la collection Médium.

De silences et de glace "Ton frère est mort sur le coup" Silence.
Ce sera la seule phrase que ses parents diront à Sarah, à propos de la mort de son frère. Du coup, elle cherche à comprendre. Mort de quoi ? Mort comment ? Mort comme Kilo, son petit chat ? Cette mort occupe toute la vie de la famille. Désormais, on sort le week-end, on va au cinéma, à la piscine, au musée, au restaurant, pour meubler l'absence. Puis son père vide la chambre d'Antoine, toujours sans parler, sans rien dire. Tout ce qui rappelle le frère décédé est proscrit, interdit. Le vide se fait autour de Sarah, sa scolarité est bloquée. Tous ces silences lui pèsent, se transforment en un bloc de glace à l'intérieur de son corps.
Arrivent les vacances d'été. Où aller ? En colonie, pas question, c'est un endroit où on n'est jamais seule, où on partage tout. Insupportable ! Sarah décide d'aller chez sa grand-mère, à la surprise des parents.
La grand-mère Lucie habite, seule, à la campagne. C'ets une femme un peu originale. Elle jardine et elle fait des photos de ses légumes et de ses fruits. Elle peut rester deux heures avec sa voisine, à boire quelques cafés à l'eau-de-vie, sans dire plus que quelques mots. Elle boit régulièrement, une bouteille pleine ne passe pas les six jours, mais on ne la voit jamais. Comme Sarah ne sait plus lire, Lucie lui lira "Le Monde selon Garp" de John Irving.
Mais avant, un soir, elle décide qu'au matin, elle lui dira un secret qu'elle partageait avec son frère. C'est un endroit plein de mousse, une clairière au milieu d'un bois sec et épineux. Elles s'y allongent, contemplent le ciel, et parlent d'Antoine. Elles pensent à Antoine. Elles se racontent des moments de leurs vies avec Antoine.
Elle se remet à vivre avec le souvenir d'Antoine.


Ce livre parle de l'impossibilité de survivre à une mort à laquelle on ne donne pas de sens, à une mort dont on ne parle pas. De la tristesse qui s'étend, sans que rien ne puisse l'éteindre. De l'impossible deuil tant qu'on n'a pas accepté la mort de l'autre. Il ne s'agit pas d'oublier, mais de vivre avec, de ne pas se laisser envahir par la mort de l'autre.
Parler de celui qui est mort, évoquer des souvenirs, des bons et des mauvais moments est une nécessité dont ce roman se fait l'écho. La grand-mère est, ici, le personnage qui, ayant pris suffisamment de distance, ayant consenti, peut trouver les mots qui permettront de débuter le dialogue, et le deuil.
Ce journal (du 13 décembre au 26 août) est un texte violent, dur et froid, sans pitié, dans la première partie. Et dans sa deuxième partie, il est doux, plein de tendresse et d'espoir.
Je n'ai pas toujours aimé certains tics d'écriture qui font trucs. Si le coup de colère de Sarah refusant d'aller en colonie est très bien venu (p. 65), d'autres enfilades de mots le sont moins.

Très bon roman pour garçons et filles à partir de 12-13 ans.

© Jean TANGUY   15 avril 2002 

Salle des pas perdus

Un roman de Julia Billet, publié à L'Ecole des loisirs, en 2003,
dans la collection Médium.

Dans le hall de la gare de Lyon, Henri, Elie, Yvonne et bien d'autres qui ont tout perdu, passent passent leur vie à ne plus rien attendre. Parmi eux, il y a une vieille femme qui pousse un Caddie qu'elle remplit en récupérant dans les poubelles ce qui peut encore servir. Elle a son rythme de vie bien à elle, ses amitiés, ses habitudes, ses petites manies. Elle aime observer les gens.
C'est pour celà qu'elle voit cette fille, une gamine, assise, tournée sur elle, en rond. Une fille qui fuit le monde. Quand elle se met à marcher, la vieille reconnaît son allure, son pas perdu. Et quand des garçons l'importunent et lui font mal, la vieille va la chercher : "Viens Salomé, on y va ..." Et Salomé la suit, sans rien dire. Pendant des jours et des jours, la vieille femme s'occupe d'elle, lui apprend la vie des clochards, la nourrit, la traîne là où elle a décidé d'aller. Et Salomé suit, lui obéit passivement, sans rien dire d'elle, sans rien demander à la vieille.
Plus tard, Salomé lui raconte sa vie de fille aimée d'une famille  attentionnée. Un dimanche, au dessert de son repas d'anniversaire, puisqu'elle était grande maintenant, en âge de comprendre, on lui a dit la vérité, qui elle n'était pas parce qu'elle était née sous X. . La vieille a laissé passer les anges. Puis elle l'a emmenée manger.
Huit jours ont passé. Salomé a demandé à la vieille de faire l'inventaire de sa boîte à sucre. Elle y a trouvé les traces de sa vie, des photos, un livret de famille, une paire de créoles, une clef, un galet, un dessin d'enfant, du sable...
Après quoi, elle retrouve le goût d'être active, de décider, de choisir. Alors la vieile comprend qu'elle va devoir l'obliger à retrouver ses parents. Mais comment faire pour l'y inciter ? Elle se laisse agresser par des petits voyous. Dans l'ambulance, Salomé l'accompagne en disant qu'elle est sa grand-mère et en emportant le précieuse boîte à sucre.
Il lui faut donner l'identité de la vieille femme. Elle ouvre le livret de famille, elle apprend pourquoi elle l'appelle Salomé...


Un beau texte avec une écriture délicatement soignée. Les dialogues très bien écrits disent bien quels sentiments habitent les personnages. Un grand respect de toutes ces personnes que l'on regarde avec commisération et parfois un peu de dégoût.
Julia Billet décrit la vie des clochards sans mélo, presque gaiement. On ne s'attriste pas sur le sort de cette petite communauté bariolée et extravagante. Elle décrit finement la solitude souffrante de la jeune fille, comment elle s'est coupée de sa vie parce qu'on l'avait coupée de son origine. Elle dit bien la difficulté d'être l'enfant de personne
Il y a une vision intéressante de la relation qui s'établit entre les deux femmes. Dans un monde ou le temps est précieux et ou tout se paie ou s'achète, la vieille a tout son temps pour vivre avec la petite, sans la bousculer de questions, en attendant qu'elle trouve une raison de lui parler d'elle et de renouer avec la vie. Elle éprouve pour la jeune fille une sollicitude patiente, gratuite, qui n'attend pas de retour, même si -on le comprend à la fin du roman- ce compagnonage la raccorde à son passé.
Le livre est touchant tout en ayant une légèreté et un humour qui égaient le lecteur. Il pousse à éprouver de l'empathie pour cette vieille dame. La fin est émouvante, quand on prend enfin connaissance de tous les fils de l'histoire de la vieille dame. On comprend alors pourquoi elle a appelé Salomé cette fille qui porte un tout autre prénom...
S'il y a des belles vies, celles-ci en sont.

Pour garçons et filles de 12-13 ans.

© Jean TANGUY   15 avril 2003  

Alors partir ?

Un roman de Julia Billet, publié au Seuil, en 2008,
dans la collection Karactère(s).

Alors partir !Jaime vit dans une communauté de gitans, des Roms, précisément, installée au bord d'une autoroute. Il est le seul  à aller au lycée, il va bientôt passer son baccalauréat. Sans imaginer quitter sa communauté, il aime une gadjé. C'est un passionné de littérature. Le soir, il fait la lecture à Yaya, sa vieille grand-mère. Il lui lit ce qu'il lit en classe, un soir, c'est un passage de "Si c'est un homme". Sa grand-mère l'admire de pouvoir, en lisant, découvrir des choses qu'elle ne peut connaître. 
Mais un jour, c'est un lettre de la municipalité que doit lire Jaime à la communauté. Le terrain qu'elle occupe a été vendu, il devront l'avoir quitté dans trois mois. malgré la vois des sages qui leur dit de partir, rien ne se passe après les quelques bonnes intentions du début. Par ailleurs, louer un des appartements que la municipalité affirme avoir réservé pour les familles s'avère impossible tant il faut de documents administratifs qu'elles ne possèdent pas. Et surtout, pense Jaime, vivre dans un appartement, ce serait la mort. Il n'a pas envie d'une chambre, coupé de ses cousins, de ses oncles, de ses tantes, de sa famille. Cette vie-là n'est pas pour lui. Il est un Gitan.
Au terme des trois mois, la police vient évacuer le camp. L'expulsion est matinale, brutale, exagérément violente. Un des hommes ets blessé par balle. Des membres d'une association portent secours aux gitans, le temps que les voitures et les caravanes soient de nouveau en état de prendre la route.
La vieille Yaya revit l'expulsion comme au temps de la Seconde Guerre mondiale. Comme cette déportation à Dachau où elle a laissé les siens. Elle se tait. Aucun son ne sort plus de sa bouche. alors qu'elle présente à ce qui se passe. Dans les Alpes de Haute-Provence, Yaya parle sans discontinuer pendant une nuit et une journée. Elle livre ses secrets à Solémo, son mari, puis elle meurt.
Mais avant, elle a demandé à Solémo de transmettre à Jaime un précieux objet qu'elle n'a jamais quitté...


Une histoire majoritairement triste qui se termine sur une note positive. Au début, ce groupe de Gitans vit en ayant tout oublié du voyage. Pourtant il y a des allusions au passé, notamment par le biais de Yaya qui a connu le voyage, qui a partagé le sort des Gitans pendant la Seconde Guerre mondiale. Ou dans le discours de Solémo qui narre l'histoire du peuple des Roms. 
La mémoire des gitans est essentiellement orale. C'est une mémoire qui peut se perdre si l'un des membres ne transmet pas l'histoire Yaya aurait pu mourir sans parler, sans transmettre l'histoire de sa vie difficile. Or, l'auteur montre que le livre permet de transmettre la mémoire au-delà de la mort. Ce qui arrive à Jaime qui découvre le Livre des patrins après la mort de Yaya. Dans le roman, le livre est aussi une raison d'être ensemble et un prétexte pour partager son savoir quand Jaime enseignant aux enfants. C'est un moyen de faire plaisir quand Jaime fait la lecture à Yaya.  Par le biais de l'écriture, un lien dure quand les personnes ne sont plus dans la proximité physique. Elle permet à Ana et Jaime de continuer à s'aimer, elle sédentaire, lui sur les routes. 

J'ai retrouvé dans ce roman quelque chose de Salle des pas perdus : la sensibilité de Julia Billet à des situations de grande détresse, son attention précise et délicate envers des êtres méprisés et délaissés, sa capacité à faire partager au lecteur ce qu'elle ressent.
L'histoire est racontée par un observateur, un peu comme Primo Levi raconte la vie au Lager comme s'il avait été à l'extérieur du camp, devant les barbelés. Elle le fait avec précision, objectivité, distance.  Le procédé densifie la sensation de  réalité que l'on ressent à la lecture et permet de faire ressortir la violence faite à ces gens, leur exclusion. 

Un livre important à faire lire à des garçons et filles de 12-13 ans.

© Jean TANGUY   18 juillet 2008