Le
dernier chant de l'Inca
Un roman de Gérard Herzhaft,
édité au Seuil, en 1997,
dans la collection Fictions.
L'homme portant un llatu rouge autour de la tête
qui fait halte au village d'Ahuaytoumbo, est Huarachi, un vieux
troubadour qui sillonne le Pérou depuis plus de cinquante ans.
Il a servi plusieurs souverains Incas. Dans sa sacoche de cuir,
il emporte une quena sculptée dans le fémur d'un adversaire
chanka, un petit tambour fait aussi avec de la peau de chanka,
un bola, un poignard de pierre... Un enfant l'admire, Yanawa,
et veut devenir son disciple, mais le vieil homme va vers le
lac Titicaca, à deux jours de marche, pour y rejoindre les dieux.
Cédant aux demandes du cacique Aramayo, il accepte de chanter
une dernière fois la gloire du soleil de l'Inca et de l'Empire.
Tous les Indiens du village sont là, jeunes et vieux, en habits
de fête. La nourriture est abondante, la chincha coule à flots.
Revêtu de ses habits de troubadour préféré de l'Inca, les grelots
aux pieds, la quena à la main, il chante, mime et danse don
récit. Quand il a fini, les Indiens continuent à s'enivrer sur
la place du village.
Le lendemain matin, il part tôt. L'enfant le rattrape et lui
raconte. Ayant vu la nuit les torches qui brûlaient, les soldats
espagnols menés par Don Fernando et accompagnés du père Benito
sont montés au village. Ils ont découvert que ce village soi-disant
converti au christianisme continuait à vouer un culte à l'Inca.
Ils imaginent des contacts avec le dernier des Incas dans
la jungle. Ils croient qu'on leur cache des objets d'or et d'argent,
en deviennent fous. Ils ont massacré plusieurs pauvres
du village, en punition. Yanawa supplie le vieil homme de revenir
et de les sauver. Huarachi, fâché d'être dérangé dans son voyage
renvoie Yanawa dans son village obéir aux Espagnols, leur
donner les quelques objets d'or que vous cachez. Fais semblant
de prier leur Christ et pense à l'Inca. Un condor l'accompagne
alors dans sa marche et lui fait penser au petit garçon qu'il
a été, à son père qui a si bien su le guider. Il réalise alors
qu'il ne peut laisser Yanawa seul.
Il revient alors au village pour tenter de sauver le cacique
de la torture et éviter le fouet à Yanawa. Il propose à Don
Fernando de le mener, lui ses hommes et leur guide, vers l'or
et l'Inca.
La forêt tropicale est territoire Anti, des Indiens redoutables
qui n'ont pu être soumis par les Incas. Les Espagnols ne connaissent
pas la jungle comme les Indiens, ils progressent avec difficulté.
Ils ont peur des Antis, dorment mal la nuit, suent sous leurs
armures. Huarachi des conduit sur le chemin empierré qui sillonne
tout le territoire de l'ancien Empire Inca. Visiblement, en
ne contredisant pas les Espagnols dans leurs décisions, il attend
son heure : la défaillance du père Benito bientôt égorgé par
les éclaireurs qui désertent, le franchissement du fleuve au
cours duquel Don Fernando sauve la vie de Yanawa, la rencontre
meurtrière avec les Antis qui les suivent depuis longtemps...
Après la traversée du fleuve, le cacique a pu s'échapper. Don
Fernando a fait prisonnier le chef des Antis qui les accompagne
vers la source d'or. Une dernière ruse de Huarachi et le chef
espagnol devient son prisonnier. Les quelques Espagnols survivants
deviennent prisonniers des Antis qui leur feront boire cet or
pour lequel ils sont prêts à tout, mais de l'or fondu...
Huarachi, Yanawa et Don Fernando parviennent enfin à l'Inca
qui habite au nouveau Cuzco. C'est un tout jeune homme converti
au catholicisme et coopérant avec les Espagnols. Les habitants
de Cuzco rêvent de reconquérir le Pérou, de rebâtir un nouveau
Pérou.
Une fois encore, Huarachi chante la magnificence du fils du
Soleil à un Inca qui l'a oublié. Il lui dit ne pas croire les
Espagnols qui ont arraché tout l'or et tout l'argent du
temple [de l'Inca], ont rasé les murs, ont brûlé les prêtres
[...] les Espagnols, ces incroyants, ne se précipitent-ils pas
encore à la poursuite des filaments d'or, la rosée du soleil,
aveuglés par la lumière du Dieu suprême?
Huarachi reste fidèle à ses dieux. Il repart à leur rencontre.
Don Fernando tente dans un ultime discussion, de le faire changer
d'avis. Le vieil homme lui redit sa certitude que le seul ami
des Blancs, c'est l'or. Huarachi se dirige enfin vers le lac,
attend la nuit que la Lune se lève pour s'enfoncer dans l'eau
glacée, à la rencontre de ses dieux...
Ce roman est construit comme un roman
d'aventures, une sorte d'épopée qui utilise la mythologie Inca.
Il met en valeur la qualité humaine du vieux troubadour, sa
sagesse, sa fidélité inébranlable à ses croyances, son sens
élevé de la responsabilité, son intelligence rusée. Les Espagnols
apparaissent comme des conquérants brutaux et rustres, méconnaissant
tout autant la population que la géographie du territoire. Ils
sont aveuglés par l'or, prêts à tout pour s'en emparer et devenir
riches. Les Incas ne sont pas toutefois le peuple parfait dont
on se complait à vanter la culture et la sagesse élevée. Le
jeune Titu Cusi qui a pactisé avec les espagnols et s'est converti
au christianisme est la figure d'un peuple divisé entre purs
et collaborateurs. Et les Indiens qui s'enivrent sont les signes
d'un Empire déclinant comme tant d'autres...
Reste la sagesse du vieux troubadour, sa musique qui, à elle
seule est capable de faire revivre la gloire et la grandeur
de l'Empire Inca, et toute la mythologie du soleil
dont l'or n'est que la rosée et la lune qui pleure des larmes
d'argent.
Un livre passionnant à lire, dépaysant à souhait, avec une narration
féconde en rebondissements, peut-être un peu touffu. Mais un
livre plutôt triste, un long blues comme les autres romans de
G. Herzhaft. Un beau texte capable de faire rêver.
On pourra lire L'Or de Cajamalca de Jakob
Wassermann publié à l'Ecole des Loisirs dans la collection
Médium. Ce magnifique roman offre une vision différente de la
conquête du territoire Inca par les Espagnols, plus grandiose,
plus cruelle aussi.
Pour des bons lecteurs de 14-15 ans.
© 24 juillet,
2000
|