Sa majesté des clones

Un roman de Jean-Pierre Hubert, publié chez Mango, en 2002,
dans la collection Autre Mondes.

Tellement tu es ma soeur ! Des Terriens, qui habitent une station-école orbitale, sont attaqués par les Arachnos, des extraterrestres qui ressemblent, en plus perfectionné, à des araignées. L'attaque est brutale. Une vingtaine d'enfants réussissent à s'échapper à bord d'une navette de sauvetage.  Lors de leur fuite, ils sont rattrapés par la torpille arachnos et s'écrasent dans un monde inconnu. Ils ont nagé pour gagner une plage de sable blanc chauffée par deux soleils.
Totalement démunis, les enfants n'ont d'autre choix que d'apprendre à survivre. Elie et Tiggy, les seuls à avoir suivi l'école des cadets, organisent le groupe. Elie dispose d'une arme laser dont il se sert pour défricher et faire du feu. Avant de quitter la station, Tiggy a eu la présence d'esprit de se munir de quelques objets essentiels à leur survie.
Pourtant, très vite, des dissensions surgissent avec Moelo et les siens. Sur Mentor, Moelo était le capitaine de l'équipe de palet. Il est admiré pour sa force et son énergie. Il jalouse le pouvoir d'Elie et l'amitié de celui-ci avec Tiggy. Alors qu'Elie et Tiggy plongent pour explorer la navette et trouver une balise de détresse, Moelo et les siens montent des gradins en prévision d'un match. Elie, Tiggy et quelques autres explorent l'île pendant que Moelo fait des acrobaties. L'opposition des deux groupes ne cesse de croître jusqu'à la rupture. Un des sportifs de Moelo enfants meurt d'une blessure que Tiggy n'a su soigner. Du coup, Moelo se bat avec Elie et s'empare de son arme. Aussitôt, il le bannit, lui et ses amis.
L'équipe d'Elie se retire au milieu de l'île. Ils y découvrenet une enfant Arachnos. Au début, ils la craignent, puis apprennent à communiquer avec elle jusqu'à s'apprivoiser mutuellement et à lui permettre de vivre et de se développer.
Après avoir remis le corps de leur camarade à la mer, Moelo découvre un étrange vaisseau échoué. A l'intérieur de la navette-usine, il n'y a pas de survivants. Une unité de synthèse fonctionne. Elle s'avère pouvoir cloner de la matière vivante. Hélas, personne, dans ce groupe, ne sait comprendre le fonctionnement de l'unité. Ils se fabriquent donc de la nourriture sans se soucier de ce qui éclôt vraiment sur la plage, des mouches-rasoirs, par exemple.
Mais quand Moelo apprend que le groupe d'Elie et de Tiggy soigne une Arachnos, il leur déclare la guerre...


Le livre est un hommage à Sa majesté des mouches de William Golding. Comme son aîné, Jean-Pierre Hubert met en scène une bande d'enfants qui échouent sur une île déserte. Dans cet environnement primitif, tout est à inventer et tout est possible. Il faut survivre, fabriquer des outils, chasser ou cultiver, organiser le groupe. Lecteur, on formule des voeux que ces enfants ne reproduisent pas les erreurs et les défauts de leur ancien monde. Hélas, le monde de l'enfance n'est pas plus idéal que celui des adultes. Les conflits apparaissent. Les caractères s'affirment et, très vite, dans cette micro-sociétés, on retrouve les rôles sociaux bien connus : le meneur, le politique, la fille sérieuse, les enfants insouciants, les costauds un peu frustres, les joueurs, ceux qui fascinent et ceux qui se soumettent...
Dans ce monde, deux groupes se créent : l'un s'organise sur des principes de respect de la loi commune, de tolérance, d'égalité, de solidarité. L'autre se soude autour d'un meneur parce qu'il est le plus fort, le plus violent, parce qu'il a une arme. Les plus forts prennent le pouvoir, même si leurs actes sont inconséquents. Dans le roman, il se trouve que ce groupe rassemble les sportifs, ceux qui ont le goût du jeu e se valorisent ainsi. On voit bien que pour que le spectacle des jeux fonctionne, il faut un chef et des sujets, il faut une foule docile qui admire son leader. A l'opposé, la vie dans l'autre groupe est plus austère, plus exigeante. La démocratie n'est pas qu'un plaisir.
On remarquera le comportement irréfléchi du groupe de Moelo, qui clone le vivant sans même imaginer que des conséquences puissent être néfastes. Cependant, Jean-Pierre Hubert ne cède pas à la facilité de laisser penser que le clonage soit intrinsèquement mauvais. Si pour nourrir le groupe, il est utile, il peut aussi avoir des effets secondaires désastreux.
La découverte de l'Arachnos est un élément fort intéressant du roman, que l'auteur fait évoluer avec beaucoup de finesse et d'intelligence. Faut-il éliminer l'autre qui est totalement différent sans s'interroger sur sa capacité de cohabiter ? Les enfants qui découvrent l'Arachnos et la protègent prennent le temps de la rencontre pour la connaître. Finalement, une relation respectueuse s'installe, qui irait jusquà la réciprocité lorsque le groupe d'Elie et de Tiggy sera attaqué. Il n'échappera pas au lecteur que Moelo, en difficulté dans son camp, désigne l'étrangère comme ennemie à abattre. Les énergies engagées dans ce combat ne seront pas dépensées à critiquer le chef et ses injustices...

L'histoire que nous livre Jean-Pierre Hubert est dure et forte. Elle s'ancre dans la réalité de notre société et est à même de faire réfléchir les jeunes lecteurs sur son environnement social et humain. Cela fait des années que j'ai lu Sa majesté des mouches, j'en garde le souvenir précis d'une confrontation à une réalité violent et décevante, d'être déçu que les enfants ne réussissent pas à éviter les dérives humaines et sociales que nous-mêmes n'avons su éviter. Le roman de Hubert m'a moins choqué, certainement à cause de son appartenance au genre de la science-fiction qui met à distance la violence de ce peit groupe.

Mais ces deux romans sont des textes magnifiques et l'auteur de Sa majesté des clones a fort bien réussi sa réécriture du classique de Willima Golding.

Pour garçons et filles, mais pas avant 14-15 ans.

© Jean TANGUY   19 mai 2004