J'ai tant de choses à te dire
Lettres de l'intérieur

 

J'ai tant de choses à te dire

Un roman de John Marsden édité chez Flammarion en 1993,
dans la collection Castor poche.
Traduit de l'anglais (Australie).

Marina arrive dans un internat scolaire après un séjour en hôpital psychiatrique, parce que sa mère ne supporte plus son aphasie. Le professeur d'anglais incite ses élèves à écrire chaque jour dans un cahier, une sorte de journal intime qu'il s'engage à ne jamais lire. Marina se jure de n'y rien écrire. Pourtant elle y consigne quotidiennement ses états d'âme, ses pensées, ses observations sur ses compagnes. Elle consent peu à peu à observer ses propres changements, à risquer quelques mots sur le brutal événement qui a provoqué son mutisme. A travers son texte, on distingue la difficulté pour le groupe à l'intégrer en respectent son silence.
Vivre aux côtés d'une personne mutique est complexe. Comment être en relation avec qui ne parle pas sans chercher à le guérir de son silence ? Sans tenter de forcer son apparent isolement ? Les jeunes filles qui vivent avec Marina n'y arrivent ni de suite, ni continuellement. Cependant, l'angoisse de Marina s'estompe, sa peur d'entrer en relation avec ses compagnes s'atténue puis disparaît. Elle consent à accepter l'autre qui s'offre à elle, à regarder son visage mutilé par le vitriol, puis à s'offrir elle-même à l'accueil d'autrui, à se laisser aimer par la cadette des enfants de son professeur, puis par une amie. Et elle finit par écrire à son père qui est dans une ferme-prison, par le rencontrer et se remettre à parler.


Ce livre a été inspiré à John Marsden par deux rencontres. Dans ce livre très sensible, les observations sonnent vrai. L'analyse psychologique est fine et pertinente. Elle ne s'en tient pas aux apparences ni aux lieux communs. Le voyeurisme du lecteur n'est pas excité par une description du drame dont les détails ne sont donnés qu'en quelques endroits du livre, avec une prudente réticence.
Dans une chronique donnée au quotidien La Croix-L'Evénement, Guy Gilbert écrit qu'être éducateur, c'est 80 % d'écoute et 20 % de parole, proportion nécessaire pour que la parole ait des chances d'être prononcée à propos. Cet homme qui passe sa vie avec des loubards sait de quoi il parle. Les jeunes filles du livre de Marsden, qui n'a sans doute doute pas lu une ligne de Guy Gilbert, n'ont fait qu'écouter Marina qui ne pouvait pas parler. Seuls deux adultes ont risqué quelques brèves phrases et deux filles lui ont écrit quelque lignes. Si éduquer est écouter, voilà un joli travail éducatif et un bel exemple de respect.
Sur un thème proche de l'anorexie mentale, c'est un livre très délicat, pudique, discret. Un livre pas racoleur pour un sou, qu'on lira avec émotion. L'impossibilité de communiquer est montrée avec beaucoup de pertinence.
Le roman a obtenu le Prix du livre pour enfants en Australie.
Un livre qui est surtout lu par des filles, dès 12 ans, mais plutôt à 13-14 ans, quand elles sont plus sensibles aux problèmes personnels. Dommage qu'il n'y ait pas davantage de garçons à le lire.

    © Jean TANGUY -- 1997

  Lettres de l'intérieur

Un roman de John Marsden, édité à L'Ecole des loisirs en 1998,
dans la collection Médium.
Traduit de l'australien.

C'est parce qu'il pleut et qu'elle est seule que Mandy répond à l'annonce de Tracey qui cherche une correspondante. Au fil des lettres, l'amitié s'installe, des secrets se partagent, puis des confidences, des émotions. Mais Mandy découvre que Tracey lui cache quelque chose. Elle finit par lui avouer qu'elle lui écrit de prison où elle paie cher un lourd passé dont elle n'est pas vraiment responsable. Les deux filles continuent à s'écrire et évoluent. Tracey, la dure, l'inquiétante, l'insoumise, change de comportement. Elle s'essaie à nouer des relations de sympathie à l'intérieur de la prison. Elle aspire à changer pour sortir, un jour, la tête haute. Dehors, Mandy mène une vie plus insouciante et frivole dans un milieu qui la met à l'abri du besoin et des risques. Tout de même Tracey s'inquiète de la trop forte violence du frère aîné de Mandy, du danger qu'elle court auprès de lui. Alors que cette correspondance a vraiment fait changer Tracey, aux alentours de Noël, Manda cesse d'écrire...


Une correspondance qui ne laisse pas indifférent. On se passionne pour l'échange des deux jeunes filles. On craint la rupture quand Tracey avoue qu'elle est en prison. On craint le pire, en fermant le livre, parce que Mandy a cessé d'écrire et qu'on ne sait ce qu'elle est devenue. Il est intéressant de voir l'évolution des deux filles, surtout celle de la prisonnière qui cesse de n'être qu'une dure, presque inhumaine. Mais aussi celle de Mandy, qui mûrit, qui devient adulte.
La grande réserve que je fais à propos de ce livre tient à cette fin qui ne permet pas de décider de ce qu'il est advenu à Mandy : est-elle morte d'un accès de violence de son frère ? Est-ce le courrier de Tracey qui ne lui parvient plus ? Est-ce un déménagement ? C'est trop facile de terminer le livre de cette façon.
A comparer avec la fin du roman de Marie Brantôme : Avec tout ce qu'on a fait pour toi.
Pour des adolescents de 13-15 ans.

    © Jean TANGUY - 29 novembre 1998