La fille du squat

Un roman de Ragnfrid Trohaug, publié chez Thierry Magnier, en 2004,
dans la collection Roman.

La fille du squat Les parents d'Ida sont partis en Afrique pour leurs bonnes oeuvres. Ils ont laissé leur fille chez son frère Thomas. Et chez Maria. Expédiée jusqu'à la ville de Maria, jusqu'à sa rue, jusqu'à sa maison. Je me recroqueville, j'ai froid. Les lieux de mon frère et de Maria. Leurs lieux.
Avant, Ida passait ses vacances avec Thomas chez leur grand-père, sur la côte sud, au bord de la mer. C'était avant sa mort. A cette époque, Thomas était son Thomas, pas celui de Maria. Cet été-là, Ida n'est à personne, ce qui ne lui plaît pas du tout et lui gâche la vie. 
Alors, elle se réfugie dans son arbre à pensée.
Ce jour-là, ils sont partis grimper au cap de la Bonne-Femme, l'endroit où Marie et Thomas se sont connus. Ida fait quelques photos de son frère lorsqu'une voix la fait sursauter.
- Elle est super ta coupe, dit la voix.
Elle a un oeil vert et un oeil marron, comme David Bowie. Et un beau sourire.
- C'est moi qui les ai coupés, dis-je timidement
Je recule. Pas par dégoût, mais parce que son geste me surprend. Elle a de longs cheveux décolorés au soleil. Un débardeur noir et un pantalon en lin gris jambes évasées. (...) Elle est jolie. Avec des rayures de zèbre.

La fille Bowie, c'est Linn, une fille qui habite un squat. Le squat et la fille qu'Ida va bientôt aller rejoindre pour vivre un premier amour, vivre dans la marge, prendre part au combat des habitants du squat pour une autre façon de vivre...


Ce roman tonique et fort joliment écrit aborde divers sujets : la relation frère-soeur, la solitude de l'adolescente et son mal-être diffus, la séparation familiale, la découverte de son identité, l'amour, la vie militante des habitants du squatt. 

Evidemment, le thème de l'homosexualité attire l'attention, mais il faut noter qu'elle n'est pas la conséquence d'un traumatisme, ni une anormalité. C'est la condition d'Ida, tout simplement.  
Autant Ida ne cache pas qu'elle sait s'y prendre, autant elle cache sa relation physique au lecteur. Elle exprime des sentiments, des admirations, des émotions, de la sensualité. L'adolescente se découvre et finit par s'accepter comme elle est, je suis avec des filles ; c'est comme ça que ça doit être, j'en suis presque certaine. 

La relation d'Ida avec son frère Thomas était très fusionnelle. Un peu comme celle qu'entretiennent certains jumeaux. Maria est l'intruse qui ouvre cette relation à autre chose, à un autre temps, à une autre vie. Mais Ida ne le sait pas, parce qu'avant Lynn, elle a besoin de Thomas. Elle qui veut n'être à personne n'existe que liée à Thomas. Ses vacances, son affection pour son grand-père, ses souvenirs, ses étés... tout a existé pour Thomas et elle. Mais maintenant, Thomas est à Maria, ce qui rend Ida disponible, à son insu, pour quelqu'un d'autre, une autre histoire.   

La relation entre Ida et Lynn s'installe à l'initiative de Lynn. Car Ida ne sait rien de son inclination sexuelle.  On ne sait pas ce que c'est tant qu'on n'a pas essayé, comme dit son frère Thomas, qui ne lui a pas expliqué comment il fallait faire la première fois. Lynn est une fille exigeante, capricieuse, possessive. Tout ce qu'elle trouve sur son chemin, elle le considère comme sa propriété. Peu à peu, Ida est moins désorientée, elle prend de l'assurance, je sais qui je suis, j'en sais plus qu'avant sur moi. Elle avait besoin de Lynn pour le savoir. Elle souffre de ne pouvoir exister que dans l'ombre de Lynn. Alors, quand le squat est liquidé par les forces de l'ordre, après un beau concert, quand elle voit que Lynn se range du côté de ceux qui ont voulu la disparition du squat, Ida n'hésite pas : je n'ai plus besoin de toi, dis-je. Et elle continue son chemin.

J'ai bien aimé ce roman que j'ai trouvé pudique, respectueux, délicat et plausible, étrange, aussi. Pourtant, je trouve que certains éléments sont trop attendus dans une tranche de vie d'adolescente. Si la rencontre d'Ida et de Lynn est originale, il n'en va pas de même pour la vie au squat, le grand-frère très idéalisé et son amie perçue comme une rivale, les parents militants humanitaires, la revendication d'une vie marginale, l'offensive des partisans de l'ordre contre le squat. Tant qu'à faire dans le style hippie, une road-movie estivale vers Montpellier eût été plus neuve, plus surprenante et aurait donné l'occasion d'un autre regard sur la revendication adolescente d'une vie marginale, sur l'errance et la quête identitaire...  

Pour garçons et filles à partir de 14-15 ans..

© Jean TANGUY   9 août 2005