Les enfants Tillerman

Un roman de Cynthia Voigt publié chez Flammarion, 1986-1995, dans la collection Castor Poche.
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Rose-Marie Vassallo

Les enfants Tillerman. 1: C'est encore loin la maison ? (1981 USA, 1986 France)
Les enfants Tillerman. 1: Et si on allait chez Grand-mère ? (1981 USA, 1987 France)
La chanson de Dicey. (1982 USA, 1987 France)
Le héron bleu. (1983 USA, 1989 France)
Samuel Tillerman. (1985 USA, 1992 France)
L'enquête. (1987 USA, 1990 France)
Dicey risque tout. (1987 USA, 1994 France)

C'est encore loin la maison ?

Dans la littérature de jeunesse, on trouve aussi bien des livres merveilleux que des livres ratés, des "non-books", des textes courts et des longs. Des romans qui sont comme la vie, et d'autres qui n'ont aucune consistance. De temps à autre, on a le bonheur de rencontrer un bon gros roman, une belle tranche d'humanité. Un texte qui vaut pleinement la peine d'y sacrifier une dizaine d'heures de lecture. Comme les 1520 pages des quatre livres de Cynthia VOIGT...

Une mère peut-elle abandonner ses enfants dans une voiture sur le parking d'un centre commercial ? Cela arrive à Sammy, James, Maybeth et Dicey. Les Enfants Tillerman. Dicey, l'aînée, décide qu'ils vont aller chez une tante. A pied. Du sud du Connecticut (près de Westerly) à Bridgeport. Avec quelques dollars en poche. Ce n'est pas l'aventure, la randonnée de vacances (d'où ce titre C'est encore loin la maison ?). C'est la longue marche de quatre jeunes enfants qui ont décidé de ne pas se séparer, de rester en famille. Ils n'ont pas connu leur père. Leur mère les a élevés quelques années et les a abandonnés à leur sort, épuisée et dépassée par les exigences de leur éducation. En marchant, le clan Tillerman se soude autour du récit que chacun fait d'un morceau de l'histoire de la famille. Ils trouvent ainsi la fierté d'avoir eu des parents, même imparfaits. Sur la route, ils vivent de presque rien, d'un peu de pêche, de quelques gestes de sympathie. Ils rencontrent des gens, comme Windy et Stewart qui les hébergent quelques jours. Ils dorment derrière des entrepôts, dans un jardin public, sous un hangar... Et quand ils arrivent à Bridgeport, ils ne connaîtront pas tante Cilla, elle est morte. C'est sa fille, la cousine Eunice qui les héberge et s'en occupe avec l'aide du père Joseph. Mais les projets de cousine Eunice ne plaisent pas à Dicey, et à l'école, la maîtresse de Maybeth veut la placer dans une maison spécialisée. Il y a danger d'être séparés ! Et voici les quatre Tillerman repartis en voyage...

Et si on allait chez Grand-mère ?

Et si on allait chez grand-mère pour éviter la séparation et parce que c'est une Tillerman, de la branche paternelle. La route est encore plus longue, la grand-mère habitant à Crisfield, dans le Maryland. C'est aussi une route aventureuse car ils savent peu de chose d'Abigail Tillerman, sinon qu'elle vit en solitaire et qu'elle n'a pas d'amis. Au terme de nombreuses péripéties, de nouvelles rencontres (dont un cirque), ils arrivent à Crisfield. Dicey décide qu'elle se rendra d'abord seule chez la grand-mère, pour ce qu'il faut bien appeler un affrontement. Dicey sait ce qu'elle veut. La grand-mère sait ce qu'elle ne veut pas : recommencer une vie de famille. Elle a assez souffert d'un mari autoritaire, d'enfants qui ne sont pas devenus ce qu'elle aurait souhaité, de la mort d'un fils au Vietnam... Mais quand on est Tillerman, on a le sens de la famille, on a de la volonté à en revendre. Dicey veut qu'une adulte de la famille s'occupe d'eux sans attenter à leur liberté. En les respectant. Elle n'a d'autre choix qu'Abigail Tillerman. Le clan des enfants Tillerman va adopter des conduites qui leur permettront de rester chez grand-mère et de se faire adopter.

La chanson de Dicey

Au terme d'un été d'errance, voici donc les Tillerman installés chez Gram, cette étrange grand-mère. Dicey est bien décidée à ce qu'ils y restent et qu'ils y restent ensemble. Ils ont beaucoup à faire. Cesser cette vie de vagabond et s'attacher à quelqu'un. Retrouver un état physique normal. Connaître plus intimement Gram, ce qui est loin d'être facile. Aller à l'école. Dicey veut réparer le bateau qui est dans la grange de Gram. Rêver...
La chanson de Dicey, c'est la vie somme toute normale qu'ils mènent chez Gram et à Crisfield. Il y a pourtant dans ce troisième volume, des moments très forts et émouvants. Des rencontres, encore, de Jeff, du professeur de musique de Maybeth, de Millie l'épicière, de Mina la camarade de classe, d'un sculpteur de jouets en bois. Et il y a surtout l'épreuve de retrouver sa mère à l'agonie, sur un lit d'hôpital.

Le héron bleu

Le Héron bleu est une autre histoire. Jeff a un père intellectuel. Un vrai qui ne vit que dans ses recherches, qu'il n'appelle jamais papa, mais le Professeur. Sa mère, Melody, est surtout sensible au malheur d'autrui. Elle est toujours prête à mener un combat pour protéger la nature ou pour sauver les autres, ceux qui sont au loin. Jeff a sept ans quand sa mère les quitte pour aller s'occuper d'autres enfants, ailleurs dans le monde. Jeff comprend qu'il faille s'occuper de ceux qui sont plus malheureux que lui, mais il en souffre. Il comprend aussi, très vite, que s'il ne veut pas que son père l'abandonne, il va falloir vivre sans le déranger dans son travail.
On revient toujours des grands combats pour les grandes causes. Plus tard, sa mère l'invite à passer l'été dans sa famille, dans un endroit somptueux en Caroline du Sud. Il tombe sous le charme. Il ne vit plus que pour elle, dans un rêve. L'année suivante, retour à la réalité d'une mère qui ne lui est attachée que si tel est son plaisir. D'une mère qui ne l'aime pas. Jeff a douze ans. Il devient comme le héron bleu, cet oiseau solitaire qui vit dans les marais, qui ne s'apprivoise pas facilement, qui est sensible et fragile. Celui qui reste à ses côtés, c'est son père. Pas toujours très adroit, mais plus sensible et plus attentif qu'on ne pourrait le croire, et que ne le dit Melody. Il se montrera capable de redonner confiance à son fils, de lui rendre le goût de vivre. Les conflits entre Melody et le Professeur vont parfois confiner au sordide, mais dans ses rêveries, Jeff analyse ce qui se passe. Lors de l'ultime visite de sa mère, il saura choisir. En adulte. A un moment du roman, Jeff et son père déménagent grâce aux droits du livre qu'a écrit le Professeur. Ils viennent habiter Crisfield.

Crisfield,-vous connaissez ? Mais oui, c'est là où sont les Tillerman. Dans La chanson de Dicey, l'attention de la jeune fille est attirée par un jeune homme qui joue de la guitare, assis sur un muret. C'est Jeff. Dans Le Héron bleu, Jeff raconte à son tour la scène. Les destins se croisent. Jeff devient un ami des Tillerman. Il les observe. Il apprend d'eux...

Samuel Tillerman


Avec Samuel Tillerman, on revient à l'époque d'avant les enfants Tillerman puisqu'il est le fils de Gram et donc leur oncle. L'adolescent aime et recherche la solitude. C'est un garçon hyper-sensible, au caractère entier, une personne exigeante et intransigeante.
Samuel Tillerman, qu'on appelle Cougar, est champion de cross-country, invincible, mais qui ne peut courir qu'en faisant partie de l'équipe de son école. Invité à aider un autre coureur, il refuse ce qui lui vaut d'être temporairement exclu et nde ne plus pouvoir participer aux cross. Il revient sur sa décision, bien que son camarade soit noir. Il l'entraînera avec la rudesse qui est la sienne.
Il n'a qu'un ami, ou plutôt, un homme de qui il accepte des remarques, des remises en cause. Son patron avec qui il pêche des crabes. Quelqu'un qu'il respecte parce qu'il est rude au travail, comme lui, et parce qu'il l'accepte tel qu'il l'est.
Ses relations avec son père sont dénuées de toute affection. Il est en pleine révolte face à un homme obtus, dur et enfermé dans son monde. Un solitaire, comme lui.
Cougar veut vivre sans s'attacher à qui que ce soit. Il mène sa vie de façon à s'endurcir, ne manquant jamais son cross quotidien, allant au-delà de la douleur.
Pourtant, ce garçon parfois odieux tellement il est intransigeant, va composer avec quelques personnes, apprendre à donner, apprendre à recevoir, reviser quelques certitudes.
Les Etats-Unis sont en pleine guerre du Viet-Nam. Estimant qu'il ne peut continuer à vivre aux côtés de son père, Cougar va choisir de s'engager dans l'armée, de s'arracher à cette terre qu'il aime, à sa mère à qui il est viscéralement attaché.


Ce roman éclaire la saga des Enfants Tillerman. On comprend mieux leur caractère trempé, la volonté et l'énergie de Gram, leur vie quasi-tribale, leurs exigence et leur rigueur de vie.
Samule Tillerman est un personnage qui dérange. Il est intransigeant, dur avec lui-même et avec les autres. Il a un jugement rapide et tranchant, sans compromis. Il apparaît comme un jeune homme dur, sévère, austère, presqu'inhumain. En même temps, on peut ressentir tout au moins du respect, mais aussi un peu d'admiration pour ce garçon qui n'impose aux autres que ce qu'il s'impose à lui-même.
Samuel Tillerman est un raciste. Il déteste les Noirs et les personnes de couleur. Il évolue cependant, en témoigne son changement d'attitude lorsqu'il apprend que Patrice, l'homme avec qui il pêche des crabes, est un métisse. En fait, c'est un jeune en quête d'aboslu, quelqu'un qui voudrait être "pur et dur", qui ne voudrait jamais céder, qui se veut sans attache.
Son tempérament entier va peu à peu le couper d'un père plus intransigeant que lui. Plutôt que se révolter, il choisit de partir, de s'engager dans l'armée, pour ne plus jamais revenir. Une forme d'honneur et de grandeur...

L'enquête

Dans L'enquête, les deux garçons, James et Sammy ne vont pas très bien. Surtout James qui se demande qui était son père, de quelle couleur étaient ses yeux, quel était son caractère ? Mais Sammy, son jeune frère,  ne va guère mieux. Alors James décide de chercher qui était leur père. Sans rien dire au reste de sa famille, il écrit à l'hôpital de Provincetown pour obtenir un extrait de naissance. Puis il décide Sammy à convaincre le père de Mina de les emmener à Cambridge. Là se trouve l'école que leur père a fréquenté. Pus ils tenteront la chance en allant à Baltimore, voir les dockers du port où leur père avait travaillé.
Leurs recherches les mettent dans des situations périlleuses et leur donent des occasions de consolider leur solidarité fraternelle.Ils apprennent peu de choses, et peu de choses agréables.
Mais leur père avait son honneur et c'était un type courageux.
Un père dont ils peuvent être fiers.


Le monologue d'Abigail Tillerman qui ouvre le roman, fait qu'on peut le lire sans connaître les trois premiers volumes de la saga.
James et Dicey sont deux adolescents très différents. Leur quête les rapprochent, leur apprend à compter l'un sur l'autre, à se respecter, à admettre qu'ils ne sont pas semblalbles. cynthia Voigt a la finesse de nous faire cheminer dans les pensées des deux garçons et de nous montrer chacun dans le regard de l'autre.
Ce roman est construit en partie comme un roman à énigmes. L'alternance des points de vue lui donnent une vraie profondeur. Le théme de la recherchde son ascendance et de son identité est traité avec minutie. Il y a de l'action, parfois même violente, du rêve et de l'espoir.
Leur détermination et leur volonté ne laissent aucun doute sur ce qu'ils sont : des enfants Tillerman.

Dicey risque tout

Les années ont passé, Dicey Tillerman réalise enfin son rêve : construire des bateaux. Elle a longuement mûri son projet. Elle sait ce qu'elle veut faire : des bateaux. Elle a travaillé dans un chantier de marine. Elle a acquis avec ses deniers les outils nécessaires.  Elle a trouvé un hangar. Elle est allée acheter du bois et un premier clientet lui a passé commande d'un petit voilier. Elle se lance dans l'aventure avec passion, et avec sa détermination habituelle. Elle y consacre tout son temps.
Elle n'a cependant pas tout prévu. On lui vole ses outils, elle n'a pas d'assurance ce qui compromet ses projets. Elle reçoit l'aide inattendue d'un homme qu'elle hénerge dans son atelier, pour peindre des canots mal finis qui vont lui apporter, espère-t-elle suffisamment d'argent pour rebondir. Mais elle connaît mal le monde et se fait abuser par cet homme en qui elle avait mis trop de confiance.
Jeff a décidé de continuer ses études. Toute à sa passion elle l'oublie un peu trop. Une distance se crée qui lui devient pénible. Elle néglige aussi sa famille, pour la mêm raison. Trop volontaire, trop décidée à se sortir seule de ses ennuis, elle s'épuise.
Quelques jours à se refaire une santé chez Gram lui font réaliser ses erreurs et réviser ses projets de vie et la façon dont elle tente de rendre concrets des rêves trop grands pour elle.


C'est avec plaisir qu'on retrouve Dicey Tillerman avec quelques  années de plus. On mesure les effets de ce qu'elle a vécu pendant son enfance. On décèle aussi ses failles, cette ténacité hors du commun, sa trop grande confiance en elle-même, sa capacité à focaliser toute son énergie dans un projet qui lui fait oulbier ce qui l'entoure.
Dicey reste tout de même une jeune fille, qui a besoin de tendresse, de sentir l'intérêt d'un garçon avec qui elle est amie et dont elle va devenir amoureuse. A u seuil de sa vie d'adulte, celle qui a conduit la fratrie lorsque leur mère les a perdu, s'avère moins perspicace qu'on aurait pu le penser. Elle a plein de questions auxquelles elle ne sait répondre. Elle s'aperçoit qu'on ne pas décider seul de sa vie, qu'il faut confronter ses choix à la réalité, les faire évoluer, les adapter.
Comme les autres romans, il porte une forte charge initiatique, un fort pouvoir d'attachement.
Hélas, ce roman est le dernier de la saga. Il faut se détacher des enfants Tillerman, les laisser vivre leur vie.
Longtemps après avoir fermé ce dernier roman, je dois avouer que je continue de penser à eux..

Ce sont quatre textes forts et beaux, qui s'attachent à rendre la subtilité des sentiments et la complexité des rapports humains. On ne peut que s'attacher à ces personnages aux multiples facettes, sympathiques, décrits avec beaucoup de vérité psychologique. Les situations, parfois poignantes, sont analysées avec perspicacité et délicatesse. Les relations entre les êtres ne sont jamais mièvres, ni fades, et permettent d'approcher la profondeur des personnages dépeints. A aucun moment, dans aucun des livres, on n'a l'impression de lire un récit artificiel.
Et en plus, il y a l'excellente traduction de Rose-Marie Vassallo (qui habite les Côtes d'Armor). Ce sont vraiment de très beaux textes.
Lorsque j'aide des jeunes lecteurs dans le choix de leurs livres, et que je tire du rayon le premier des quatre romans de Cynthia Voigt, je préviens toujours le lecteur qu'il risque fort de ne pas rester indifférent aux Enfants Tillerman et que sans doute, "il en prend pour quatre volumes..." Force m'est de constater qu'une grande majorité ne s'arrête pas au premier volume... Ce sont des livres qu'on peut mettre dans la catégorie des "livres-accroches" (mais attention, ces livres n'accrochent les jeunes lecteurs que lorsqu'ils ont accroché les lecteurs adultes)...

Première publication dans le bulletin de l'Enseignement catholique des Côtes-d'Armor, "Echanges 22", hiver 1991


Les années ont passé pour moi aussi, je n'ai jamais oublié cette lecture. J'ai relu cette saga, pour voir si elle a vieilli. Les exemplaires, c'est certain... Les trois premiers volumes ont une couverture avec le fameux nuage qui longtemps, a permis de reconnaître les Castor Poche sur les rayons des bibliothèques.  Depuis, 5 autres volumes ont été publiés, ce qui fait près de 3000 pages à lire...
Je pense que l'idée qu'on se fait de l'enfant a changé. Le voyage de ces quatre enfants abandonnés serait-il encore concevable aujourd'hui dans un roman jeunesse ? Pas certain. La dimension initiatique garde toute son ampleur. L'écriture est introspective. Cynthia Voigt s'efforce, et réussit, à nous faire entrer dans la réflexion des enfants, pour que nous comprenions, leurs choix, leurs points de vues, lesur détresse, leurs sentiments,  leur entêtement à rester une fratrie unie et à s'attacher à Abigail Tillerman, leur énergique grand-mère.
Le monde a changé, certes, mais pas la nécessité de faire famille et de grandir.

Dommage que les livres aient cet aspect vieillot. Ils mériteraient d'être réédités dans une nouvelle et belle maquette, sans les illustrations décalées. 



© Jean TANGUY   hiver 1991 - septembre 2009